La Guinée se donne les moyens pour évaluer ses produits miniers à l’exportation.
La Guinée, un pays doté par la nature. Outre ses immenses gisements de fer, d’or, de diamant et autres minéraux ou substances de grandes valeurs, le pays recèle surtout les 2/3 de réserves mondiales de bauxite (de haute teneur) auxquels s’ajoutent 20 milliards de tonnes de minerais de fer de classe mondiale ainsi que de gros gisements d’or et de diamants. Un énorme potentiel longtemps sous exploité d’où le sobriquet de « scandale géologique » collé à la Guinée par les analystes et experts du domaine minier.
Les réformes d’envergures menées par l’Etat en matière de gouvernance minière (ces dernières années) ont, de toute évidence, créé un environnement plus attractif, favorisant ainsi de gros investissements miniers particulièrement dans le domaine de la bauxite.
Conséquence : de nouveaux et grands projets ont vu le jour, portés par un nombre (plus important) d’opérateurs miniers en phase d’exploitation évoluant sur les plateaux bauxitiques nord-ouest du pays aux côtés des anciennes compagnies minières pionnières.
Le volume de la bauxite exportée croit à un rythme exponentiel
Tournant aujourd’hui à plein régime, les activités de ces opérateurs ont ainsi, contribué à l’augmentation considérable de la capacité de production et d’exportation minière. Le pays est passé de 13 millions de tonnes expédiées en 2013 à 88 millions de tonnes métriques de bauxitiques exportés en 2020. Des données qui placent ainsi la Guinée, au
2ème rang mondial des pays exportateurs de bauxite », juste derrière l’Australie. La Guinée étant même à date, le 1er pays fournisseur de la Chine (elle-même), 1er producteur d’aluminium de la planète.
Le contrôle et l’évaluation qualité/ Quantité, une obligation du Code minier.
Aux termes de l’article 192 du Code Minier guinéen, intitulé Contrôle quantitatif et qualitatif des produits miniers, il est stipulé que « Les quantités et qualités des ressources minières à l’exportation ainsi que les produits pétroliers importés par les sociétés minières doivent faire l’objet d’une vérification stricte des services compétents du ministère en charge des mines en rapport avec l’Institut de Normalisation et de Métrologie. Tout navire assurant l’exportation des produits miniers ou livrant des produits pétroliers est obligatoirement soumis aux opérations de contrôle technique. Les écarts constatés doivent être justifiés sous l’appréciation des services compétents de l’Etat ».
De ce fait, les agents investis de la mission de contrôle des quantités des minerais à l’exportation doivent exercer cette activité avec engagement et détermination pour la sauvegarde des intérêts de l’ensemble de la nation guinéenne. En plus des sanctions disciplinaires, l’Etat guinéen se réserve le droit de mettre en œuvre. Un article du code minier qui souffrait d’application effective sur le terrain.
Les services des mines absents des points d’extraction et d’expédition depuis 46 ans !
Le grand bon du volume des exportations, favorisé par la multiplication et la diversification des opérateurs miniers, a placé inévitablement le pays, face à un gros défi : Comment opérationnaliser effectivement les capacités de État dans le contrôle et l’évaluation (à leurs justes valeurs) de la qualité et de la quantité des produits miniers à l’exportation ? « Depuis 1973, la Guinée exporte sa bauxite, mais se contente toujours des chiffres déclarés par les opérateurs miniers. C’est au regard de cette faiblesse et en tenant compte des obligations que nous impose le nouveau code minier que nous avons donc décidé et initié que des inspecteurs de l’Etat soient formés et déployés sur le terrain » affirme sur un ton amer, Mr Alhousseine KABA, Inspecteur Général des Mines et Géologie.
En effet, depuis 1973 (date d’expédition de la première cargaison de bauxite guinéenne vers l’étranger) effectivement et jusqu’en 2019, les données sur les tonnages et la teneur des minerais exportés étaient essentiellement fournies par les compagnies minières et leurs déclarants en Douane. L’unique entité publique de contrôle était la Douane qui fort malheureusement, admet le Chef Bureau de Douanes à Kamsar Boké, le Lt Colonel Fodé Amadou KEITA : « On n’a ́avait aucun moyen technique ou de compétences pour confirmer ou infirmer la qualité et la quantité des produits déclarés par les sociétés minières … on relayait de simples données consignées dans des fiches que nous apportent les miniers pour liquider les taxes et droits miniers ».
Les cadres et experts du Ministère des Mines et de la Géologie, confinés au bureau, étaient totalement absents des points d’expédition. Ils se contentaient des rapports semestriels contenant des données collectées et traitées par les opérateurs miniers et leurs déclarants en Douanes … » se souvient, Mr Moussa NIMAGA, Coordonnateur des évaluateurs Qualité au Ministère des Mines et de la Géologie.
La GIZ appuie la Guinée pour corriger des faiblesses dans le contrôle evaluation « qualité/quantité » de la bauxite exportée
Pour combler ce vide et corriger les faiblesses identifiées, le Département des Mines a sollicité à travers un projet, l’appui de la Coopération allemande de la GIZ pour lancer en 2017 un ambitieux et pertinent programme de renforcement des capacités des cadres et agents du Ministère pour faire face aux besoins de contrôle et évaluation de la Quantité et de la Qualité des produits miniers à l’exportation, et principalement la Bauxite. « à la demande de l’Etat guinéen à travers le Ministère des Mines et de la Géologie, la Coopération Allemande de la GIZ qui s’investit dans la sous région au compte du Projet Appui à la Gouvernance du Secteur Extractif a décidé d’accompagner la mise en œuvre de cet important projet afin de doter le Département d’une expertise de qualité avec des moyens de base pour réaliser ce travail important pour le pays.
Résultat : De juin à septembre 2017, une vingtaine de cadres évaluateurs a été formé sur place, aux techniques de pesée des navires selon le procédé Draft Survey ». Une technique délicate qui consiste à « Peser des navires (quand ils sont vides) et quand ils (sont chargés) afin d’évaluer la quantité de minerai à exporter permettant de déterminer les revenus de l’État en lien avec les taxes et droits à la porte.
Dix (10) meilleurs d’entre eux, avaient été sélectionnés par le Cabinet INROS Lackner pour une formation de haut niveau en septembre 2018, à l’Ecole Nationale Supérieure Maritime de Saint Malo (France). Un séjour ponctué de stage pratique et approfondi sur la pesée des navires. « Quand nous sommes allés en France en formation, nous avons rencontré de grands marins qui nous ont donné de grands secrets. Ces secrets nous ont beaucoup aidé à déjouer les pièges. Aujourd’hui, nous avons toute l’expertise pour le contrôle et l’évaluation … nous sommes de grands professionnels en la matière » indique Mr Moussa NIMAGA, Coordonnateur des évaluateurs Qualité au Ministère des Mines et de la Géologie.
Déploiement des agents formés et outillés sur le terrain en janvier 2019
Formés et aguerris à Saint Malo, une fois rentré au pays, et dotés par la GIZ en équipements et matériels (notamment des ordinateurs et tablettes numériques) ce noyau de huit (8) évaluateurs du Ministère des Mines sillonnera (dans un premier temps), les sites d’extraction et d’exportation des différentes sociétés d’exploitation de bauxites en Guinée. Le stage concluant, le Ministère des Mines et de Géologie, sous la supervision de l’Inspection Générale des Mines, va déployer à partir de janvier 2019, une équipe permanente de 16 experts évaluateurs dans la région bauxitique de Boké/Boffa pour la réalisation de l’évaluation et du contrôle des quantités sur les navires. Des évaluateurs Quantités qui bénéficient de la confiance du Département et du respect des acteurs de terrain (miniers, déclarants en douanes et armateurs) couvrent depuis, 12 sociétés minières :
Une expérience terrain qui leur a permis de comprendre et se familiariser aux méthodes d’évaluation (au niveau de chaque société). Selon les experts, le potentiel de revenu fiscal de l´État guinéen dépend fortement de la quantité, mais aussi et surtout de la teneur en alumine et en eau de la bauxite importée. Ce potentiel peut être réduit, soit à cause de la Quantité déclarée « inférieure » à celle quittant les points d’expédition. Soit, que la teneur « en alumine » est déclarée égale au seuil de l’assiette de calcul, et pourtant, supérieure à celle de la mine. Si ce n’est enfin, « la teneur en eau déclarée » qui est supérieure à la teneur en eau réelle.
Depuis janvier 2019, ces évaluateurs assermentés travaillent (à plein temps) en se relayant jour et nuit sur le terrain. Une mission difficile, absorbante et risquée qui couvre toute la Chaîne des Valeurs. Selon le Coordonnateur NIMAGA Moussa, « Ils sont présents sur les sites d’extractions du minerai qui grouillent d’engins de grands gabarits notamment les chargeuses ou pelleteuses, rythmant le ballet soutenu de camions (simple ou double bennes) de transports du minerai … Du carreau mines aux zones de stockage intermédiaire en passant par les ports minéraliers desservant de grosses barges stationnées à quai…, si ce n’est la maille complexe « de convoyeurs » drainant sur tapis roulant, le minerais extrait jusqu’aux grandes manœuvres de transbordement du minerai en haute mer dans de gros navires (Les capes sizes »).
La technique du « Draft Survey » ou la pesée des navires en mer
Le Draft Survey est en effet, une technique délicate qui consiste à « peser des navires (quand ils sont vides) et quand ils (sont chargés) afin d’évaluer la quantité de minerai à exporter permettant de déterminer les revenus de l’État en lien avec les taxes et droits à la porte. Ainsi sous l’autorité du coordonnateur désigné par le Ministre de mines et de la géologie, l’évaluateur devra accomplir les tâches suivantes :
- Évaluer les quantités de minerais chargées dans les navires via les barges, le cas échéant, par la méthode des tirants d’eau reconnue dans l’industrie minière
- Déterminer les écarts de chargement et, en trouver la cause et les signifier au coordonnateur
- Rapprocher les résultats des évaluations aux déclarations faites à la Direction Générale des Douanes
- Relever toutes les informations nécessaires relatives aux navires pour le Draft Survey
- Établir les statistiques d’exportations de produits miniers
- Collaborer avec les agents de la Direction Nationale des Impôts pour le rapprochement des données déterminées et celles déclarées dans les états financiers des entreprises minières
- Participer au cadre d’échanges d’informations établi entre les départements concernées par le flux des revenus miniers
- Porter devant le ministre chargé des mines et de la géologie, toutes les infractions aux dispositions prévues par les lois et réglementations en vigueur relative à l’exportation.
Dans le rituel de la chaîne de « Contrôle – évaluation » qualité/quantité, le gros du travail commence par l’évaluation de la quantité exportée au point d’expédition des cargaisons. C’est la technique « du Draft Survey ou la pesée des navires à quai ou en haute mer. « Le processus commence par le chargement des barges, le long des quais des ports miniers … Ces mastodontes sont par la suite, tractés par des remorqueurs robustes…direction la haute mer. Les équipes d’évaluateurs vont quotidiennement vers ces gros navires, stationnés à 60 voire à 70 km de nos côtes » nous confie, Mr Donzo Lansana, Expert Evaluateur du Ministère des Mines basé à Kamsar, Boké.
Pendant la traversée, on croise à une cadence soutenue des barges de 7 à 12 milles tonnes de capacités remplies du minerais tractées ou remorquées par des vedettes puissantes. A l’arrivée, les cargaisons sont transbordées dans « les cales » des gros navires par des grues portiques flottantes appropriées. Mais avant ce transbordement, on procède à la pesée.
Les données sont collectées après une lecture consensuelle et croisées à bord avec l’armateur, le Chief Officer, le « Surveyor » des compagnies minières et les agents évaluateurs du Ministère des Mines afin de confirmer ou d’infirmer les quantités de minerais chargées dans les navires sur place.
Cette technique de pesée en haute mer pour les navires capes sizes de plus 200 mille tonnes métrique de contenance est appliquée aussi pour les bateaux dits « Panamax » (de moindre capacité, moins de 100 milles tonnes) qui accostent aux quais portuaires de Kamsar ou de Conakry
Dans ce travail méticuleux, le coordonnateur et ses agents devront veiller à la régularité de la transmission par les compagnies minières, minimum 48 heures avant le début de chaque inspection, de toutes les informations sur les plannings de leurs navires, des situations quotidiennes et mensuelles de leurs prévisions d’arrivée de navires. Ainsi, des fiches d’information sont quotidiennement établies par les opérateurs miniers. Elles contiennent des informations relatives au nom de la compagnie, à L’agence maritime, au nom du navire, du produit à charger (bauxite, alumine, minerais de fer, etc…) de la quantité prévue (cargo manifeste), de la date de prévision d’arrivée en rade (avis d’arrivée) et de la date de démarrage prévue (date de draft initial).
Quant aux autorités portuaires, elles sont en contacts réguliers avec les inspecteurs évaluateurs, notamment la capitainerie, les responsables des ports pour avoir des informations sur les prévisions d’accostage des navires. Il en est de même avec les responsables des agences maritimes qui apportent des informations sur le planning des navires.
Sur le terrain (au quai ou en haute mer) une fois que le travail de la pesée des navires est terminé, les données du Manifeste » cargo » validées par les différentes parties sont transmises au serveur central, basé au Ministère des Mines via le cloud. C’est la digitalisation du système de collecte avec l’application nimba, de traitement et d’archivage des données, appelée à s’améliorer avec le temps. L’exemplaire physique des « fiches données signées à bord est déposé au siège du bureau terrestre des évaluateurs pour la production du rapport final en guise « d’attestation cargo » afin d’aider à la liquidation des taxes et droits miniers par la Douane.
Investigation : civinewsguinee.com